Il fut un temps où le cinéma de Hong Kong était un mystère. Un champ d'expressions dont nous ne décryptions pas tous les codes, toutes les nuances. Ce cinéma nous attirait, comme des abeilles sur un miel exotique, dégageant un parfum d'inconnu grisant. Lassés des productions hollywwodiennes toujours plus standardisées, la baie des senteurs offrait son lot de frissons et de sensations fortes que Joel Silver et consort ne parvennaient plus à fournir. Les américains étaient semblables à des grands pères incapables de bander, résigner à revivre leur glorieux passé à travers des formules qui ne dégageaient plus rien. John Woo, Tsui Hark, Kirk Wong, Ringo Lam, Wong Kar Waï, et dans une moindre mesure Gordon Chan et Fruit Chan nous abreuvaient de films que nous n'avions jamais vu. Les règles avaient changé, l'univers des images en restera boulversé à jamais. Woo filmait l'apocalypse des héros avec sa candeur encore intacte, sa foi était inébranlable et son authenticité fulgurante. Les difficultés techniques disparaîssaient, comme surpassées par un sens de l'audace à toute épreuve. Kirk Wong pliait son amour du rock'n'roll et du cinéma yankee aux codes du dim sum, et pouvait citer Friedkin sans rougir, sa rage et sa fureur comme matières premières. Ringo se contentait de budgets ridicules pour emballer de la série b rigoureuse, toujours bien ficellée, souvent poisseuse. Wong Kar Waï ne filmait pas encore des publicités Cacharel de 2 heures. Il tenait à ses personnages, les rendait humains, touchant. Il pouvait se réaproprier les codes du film de sabre et réfléchir sur la figure du guerrier sans regnier sa poésie de l'instant, sa mélancolie, sa peur de la solitude, en amour comme en amitié. Ses polars cognaient dur, il sublimait les femmes, qu'elles se masturbent ou qu'elles pleurent, voire les deux en même temps. Jackie Chan ne servait de faire valoir à personne, il était l'unique. Le cascadeur ultime, drôle et téméraire. Samo Hung ne cachetonnait pas à la télé. Ses fresques épiques folles furieuses n'avaient aucun équivalent filmique digne de ce nom. Et Tsui régnait en maître. Il organisait, dirigeait, décidait, réalisait. L'industrie toute entière reposait sur ses épaules mégalomanes. Il relança le polar, réinventa le Wu Xa Pian, fit de Jet Li une star internationale. Il fit passer à Woo l'envie d'en finir avec le cinéma. Mit le pieds à l'étrier de Kirk Wong et finança le meilleur Lam. Le jeune Johnny To fit ses armes à la Workshop. Mais cet âge bénit ne pouvait durer. Hong Kong allait redevenir chinoise, et cette liberté de création qui caractérisait cet Eden allait se teinter d'un rouge malvenu. Du moins c'est ce que tout le monde, à l'époque, pensait. L'oncle Sam fit ses habituelles avances, lui qui sait toujours où se tourner quand les siens se fatiguent. On ne compte plus, et ce depuis 90 ans, les réalisateurs du monde entier venu en terre promise pour réaliser leurs films. Et Woo, Hark, Wong, Lam, Waï quittèrent l' Eden. Ils se fourvoyèrent, se caricaturèrent, ou au mieux éxecutèrent leur contrat dans l'honneur, mais sans gloire. Et Hong Kong ne dût plus compter que sur une poignée d'incorruptibles, des fortes têtes qui refusèrent d'abdiquer. Stephen Chow, Fruit Chan et Johnny To furent de ceux-la. To, qui décida que sans les maîtres, l'un d'entre eux devait accepter la responsabilité de sauver leur indépendance, pris sur lui d'être le meneur. Le leader du nouvel ordre. Et pendant que tous les ingrédients qui firent le bonheur des cinéphiles archéologues des années 90 étaient vulgairement assimilés, détournés, vulgarisés et vider de leur sens par des tâcherons californiens sans âmes, la résistance s'organisa. Malheureusement nul n'est prophète en son pays. Les films inconsistant commençaient aussi à proliférer dans l'ancienne colonie britannique. Les prouesses virtuelles de Keanu Reeves allaient intoxiquer pour longtemps le divertissement planétaire. Alors To et Chow revinrent aux bases. L'un décida de plonger avec ses gangsters et ses flic aux bases du polar, du western, de ce que les chinois ne savent plus parler. Des hommes. Dans leur solitude, dans leur faiblesse et leur douleur. Chow lui, décida de décliner ses déclarations d'amour à Bruce Lee et à Chang Che à toutes les sauces qu'il lui viendrait à l'idée de cuisiner. Son ambition la plus ultime étant de ne pas se travestir, de réinvestir un terrain laissé en friche par des déserteurs sans scrupule. Derrière ces fortes têtes, certains éxilés revinrent au pays et accèptèrent que tout n'était peut-être pas perdu. Ils n'étaient plus les démiurges du passé, ceux qui pouvaient faire un film juste parce que l'idée qu'ils notèrent sur la note du restaurant leur paraîssait cool. Il faut désormais retourner aux sources. L'Empire du milieu n'a pas encore parasité complètement ce paradis presque perdu. De belles pages restent à écrire. En constatant la dérive enclenchée par des modes vides et oppotrunistes, le temps presse.
Et moi, j'attend le retour du Syndicat du Film.
B XVI
2 commentaires:
Un post rigoureux. Un post d'amoureux.
Bruce Venom.
tu sais de quoi tu parles, Dao...
peut-être ton meilleur texte.
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